Dans La clé USB de Jean-Philippe Toussaint (2019, Les Editions de Minuits), il n’est pas toujours très agréable de lire ce que l’on pense de la vraie nature de la voix. Et de sa vraie nature tout court.
Une conversation au téléphone en un mot « oui ».
La possibilité que la voix puisse être un supplice pour l’autre, que toutes les composantes de la voix rentrent en compte pour provoquer chez l’autre cette sensation désagréable qui représente à elle seule une esquisse significative. La voix dit tout en un « oui ».
Le corps de l’autre au téléphone est visualisé, l’expression des traits du visage, le regard peuvent être restitués juste avec l’ouï et avec ce « oui » lorsqu’elle décroche.
Extrait :
« Lorsqu’elle décrocha, elle savait sans doute que c’était moi, elle avait dû voir mon nom s’afficher sur l’écran de son téléphone. Oui, dit-elle, et elle attendit. Elle avait simplement dit « oui », rien de plus, et ce « oui », qui était d’ailleurs plutôt un « oui ? », avec une nuance d’interrogation et d’expectative, rien que ce « oui » m’état déjà insupportable. Je reconnaissais cette manière hautaine, dédaigneuse et distante, qu’elle avait, avant même d’entendre le moindre mot de ce que j’avais à lui dire, de montrer que je l’importunais. Je me demandais même comment j’avais pu aimer une femme qui avait une telle voix. Ce n’était d’ailleurs pas une question de tessiture de voix (elle avait une voix plutôt agréable), c’était une question d’inflexion ou de modelé, une intonation excédée qu’elle n’adoptait qu’avec moi, qui m’était exclusivement réservée. J’avais l’impression que, dans ces moments-là, je découvrais la vraie nature de la voix de Diane, sa voix au naturel, quand elle ne faisait pas l’effort de la parer des artifices de charme et de grâce qu’elle déployait en société, une voix comme surprise au saut du lit, pas coiffée, pas maquillée, une voix encore en robe de chambre tiède. »